Kippie Moeketsi

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Kippie Moeketsi 1Kippie « Morolong » Moeketsi (1925-1983) n’est pas un simple individu porteur d’aptitudes et de qualités musicales… Kippie Moeketsi est un homme dépassé par ses passions intérieures, un musicien qui exprime dans son art, sans doute, davantage de son âme que de ses savoirs-faire.

Kippie Moeketsi est un tout, homme et artiste à la fois, victime d’une autodestruction vitale et dramatique, mais incroyablement créatrice. La fin de son existence ne pouvait ainsi qu’exprimer la détresse insondable d’un personnage impossible à cerner… Faillite d’une vie. Faillite de sentiments complexes et douloureux…

Saxophoniste légendaire de l’Afrique du Sud violée par l’apartheid, enfant des ghettos poussiéreux de Johannesbourg et d’une famille vouée à l’amour de la musique, Kippie Moeketsi choisit très tôt la pente dangereuse pour donner sens à sa vie. Petit truand à ses premières heures, il se consacra rapidement à la musique et devint le partenaire incontournable de nombreux autres artistes.

Kippie et les Jazz EpistlesLe marabi fut la source à laquelle il puisa sans cesse son inspiration ; le jazz américain, les eaux inattendues qui lui permirent de mettre à jour un style inimitable, son style. Largement reconnu pour ses talents dans la sphère très privée des jazzmen sud-africains, il collabora avec de nombreuses formations : Band in Blue, son premier groupe, qui se produira uniquement dans les shebeens des townships ; puis des ensembles de grands renoms, comme the Shantytown Sextet, the Harlem Swingsters, et les très fameux Jazz Epistles, qui le rendirent célèbres aux côtés de Dollar Brand, Jonas Gwangwa et Hugh Masekela.

L’éclat international de sa carrière fut sans conteste sa participation à la bande son du film « King Kong », pour lequel il se rendit à Londres. Résolu cependant à ne pas tomber dans la dérive de l’exil, comme bon nombre de ses partenaires de scène, il passa la majeure partie de sa vie et de sa carrière en Afrique du Sud, opprimé par les lois restrictives de la ségrégation (il ne put notamment se produire sur scène durant les quatre années qui suivirent le massacre de Sharpeville en 1960).

Mais le parcours impressionnant de Kippie Moekestsi ne suffit pas à nous faire oublier la personnalité trouble du personnage… Toujours perturbé, souvent incompris par son public comme par ses pairs, il fera de l’alcool, tout au long de sa vie, sa plus fidèle compagne.

Marque indélébile de sa carrière, l’improvisation fut sa force et son principal moyen de transmission, le son de ses douleurs insondables et de ses blessures les plus intimes… Personnage d’états d’âmes et d’insatisfaction perpétuelle, il luttera toute sa vie contre ses « démons », sans jamais parvenir à les exhumer.

Kippie MoeketsiMalgré tout, l’influence de Kippie Moeketsi sur le jazz sud-africain reste exemplaire, et s’étale sur plus de trois décennies. Cet homme, hors norme et hors limite, aura sans aucun doute su transmettre la force de ses émotions, et en nourrir les musiciens les plus célèbres des années 1950, 60 et 70, jusqu’à sa mort, dans les années 1980.

« Le solo de Kippie dans « Memories of You », tiré de l’album qu’il réalisa en 1973 avec Dollar Brand, demeure un cri du cœur à vous arracher les tripes, s’élevant contre ce que l’Afrique du Sud a fait à ses artistes noirs » (David C. Coplan).

Où la gloire d’un artiste qui crie son indignation au son envoûtant de son saxophone… Le chant de la culpabilité, issu d’un être nourri de liberté, dans un pays torturé qui le torture en retour…

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