h’Artpon pris sous le joug de l’Apartheid

Apartheid

Ce mot raisonne à nos esprits avec un certain sens commun. Séparation, Ségrégation, Dénigrement du peuple noir… Oui, c’est aussi cela que j’ai pensé lorsque j’ai entamé cette recherche sur les liens unissant l’Art et l’Histoire en Afrique du Sud. J’ai également pensé à ces images américaines d’hommes et de femmes noirs, assis sur des bancs opposés ou sur une banquette réservée d’un bus d’Alabama… J’ai vu venir à mon esprit les noms de Rosa Parks, de Martin Luther King et de Nelson Mandela… « Nelson Mandela, voilà l’un des grands hommes de la cause sud-africaine« . Et là, j’ai perçu ma confusion, mon ignorance aussi, car l’apartheid d’Afrique du Sud n’est pas en tout point similaire à son voisin américain.

C’est pour cette raison même que j’ai décidé de vous parler de cette pointe sud-africaine, de cette contrée lointaine et presque inaccessible tant son histoire nous échappe et nous parait si peu probable, de là où nous sommes pour l’observer.

1994. Voilà la date que la Communauté d’Afrique du Sud aura du attendre si patiemment pour bénéficier de ses premières élections multi-raciales, et élire le premier président noir de son histoire en la personne de Nelson Mandela. Un grand homme, oui, nous l’avons déjà dit et il n’y a pas de doute… Mais surtout un grand peuple, posté juste derrière lui pour le porter si haut, et à qui je souhaite dédier ce h’Artpon n°2.

Entre Art&Apartheid, nous voilà arrimés pour un voyage surprenant dans les racines du mal, et le cœur de ces frères, encore souvent bien mal compris.

En bref, histoire de l’apartheid en Afrique du Sud

Donner une détermination à l’apartheid n’est pas chose si aisée : si les définitions communes s’accordent pour parler d’un « régime de discrimination et d’exclusion d’une partie de la population fondé sur son origine religieuse ou ethnique« , la réalité qui s’applique est bien plus obscure, et bien plus dramatique, que ces seuls mots ne le laissent supposer.

Dans un régime d’apartheid, les populations n’ont pas les mêmes droits, et peuvent être séparées les unes des autres. Certains lieux ou emplois peuvent être réservés à une partie seulement de la population ; et tout est ainsi, dans la vie économique et sociale quotidienne, régi et règlementé par des textes.

En Afrique du Sud, l’apartheid à proprement parlé s’est exercé jusqu’en 1991, et fut mis en place législativement par le Parti National en 1948. A partir de cette date, la pratique empirique de ségrégation raciale, ayant cours dans tout le pays depuis les premières années de colonisation, devint une politique institutionnelle :

  • la division politique, économique et géographique du territoire sud-africain ;

  • la division de la population sud-africaine en quatre groupes distincts (Blancs, Métis, Bantous, Indiens), la primauté étant accordée à la communauté blanche.

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Les Arts Visuels sous l’apartheid : quatre grandes périodes

Femme N'debele d'Afrique du SudLe continent africain regorge de richesses naturelles tout autant qu’ils débordent de talents artistiques. Dans la culture africaine, la coutume et la tradition sont sources de pratiques créatives ; c’est ainsi que les arts visuels, sculpture et peinture dans un premier temps, puis photographie, ont existé dans l’élan d’un effort collectif.

L’Afrique du Sud se démarque néanmoins quelque peu de cette vision globale, par son histoire, bien sûr, et les stigmates que celle-ci lui a infligés de diverses manières. Les colonisations hollandaise et britannique ont imposé la pluralité culturelle, le métissage, puis la ségrégation, inscrivant les origines occidentales et la « race blanche » au cœur d’une organisation sociale en devenir. Les arts se sont fait peu à peu un vecteur parmi d’autres de la domination culturelle des Blancs, avant d’en devenir un reflet, par la contrainte et par la manipulation.

Les arts visuels nous offrent une illustration très dense de ce rapport intime reliant culture et politique dans l’histoire de l’Afrique du Sud au 20ème siècle. Par l’évolution du statut de l’artiste dans la première partie du siècle ; par l’apparition d’une identité artistique sud-africaine dès les années 1960 ; par l’explosion d’un art de la résistance éminemment politique dans les années 1980 ; par la reconstruction d’un domaine de l’art soumis à rude épreuve suite à la libération de 1990 ; la créativité sud-africaine est incontestablement le fruit des luttes et des blessures de communautés bafouées.

Je vous invite à vous laisser porter par cette évolution ; le sens et la compréhension se construiront d’eux-mêmes. Cette présentation s’appuie sur les recherches et les analyses de Marylin Martin et de Sue Williamson, présentées dans le magnifique livre illustré Anthologie de l’Art africain du XXème siècle, paru aux éditions Revue Noire.

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La Littérature sud-africaine au 20ème siècle : fille de l’apartheid aux multiples voix

Affiche du festival sud-africain Time of the Writer« Jamais le lien qui unit un contexte historique à des productions littéraires n’a été sans doute aussi fort« 

« L’écrivain est celui qui invite ses lecteurs à ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure, et à protester »

« L’histoire des littératures de ce pays, c’est celle de voix qui se cherchent, qui s’entrecroisent, mais qui ont les plus grandes difficultés à se rencontrer et à communiquer »

Pour étudier la place de la littérature dans l’Afrique du Sud soumise aux lois de l’apartheid, je ferais référence à un auteur qui a fait en ce sens un travail remarquable. Jean Sévry enseigne les littératures et les civilisations africaines à l’Université de Montpellier. Les citations précédentes sont issues de son ouvrage Afrique du Sud, Ségrégation et Littérature, Anthologie critique, paru chez l’Harmattan en 1989. Jean Sévry y propose une analyse profonde et émouvante des littératures sud-africaines dans toute leur diversité. La présentation suivante se veut une brève synthèse de sa recherche, mais je ne peux qu’inviter les plus curieux à lire le livre dans sa globalité : la succession des textes choisis par l’auteur (extraits de romans, de nouvelles, d’essais, d’écrits législatifs) permet d’entrer au cœur de l’intime des auteurs sud-africains (Blancs, Noirs, Bantous, Métis, Indiens), et de nous imprégner d’un contexte lointain, difficilement accessible par le biais d’un autre vecteur.

Ouvrage de Jean SévryAborder la question de la littérature en Afrique du Sud, c’est aborder une production nourrie de la pluralité originelle de ses auteurs. C’est entamer un voyage entre poésie, roman et essais critiques. C’est entrer dans la ronde de multiples jeux de l’énonciation littéraire, au travers d’observations critiques et douloureuses d’auteurs, hommes et femmes, issus d’une même réalité sans jamais l’être totalement. Suivant la ligne directrice de Jean Sévry, nous catégoriserons dans un premier temps les différentes voix s’élevant dans la littérature sud-africaine, pour nous plonger ensuite au cœur des propos même de ces auteurs, visualisant ainsi l’ensemble des thèmes récurrents évoqués, et leur signification fortement intentionnelle.

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Musique sud-africaine et culture noire : entre nécessité dans la lutte et conditions d’expression difficiles

La musique d’Afrique du Sud a une histoire riche et complexe, à l’image de celle du pays dans lequel elle prend vie. Sans aucun doute, le potentiel artistique est énorme, issu de traditions ancestrales ; mais plus encore, la situation d’apartheid est à l’origine d’une véritable révolution des formes musicales, nulle part ailleurs renouvelée de la sorte.

Ma source principale pour construire cet article est l’étude très complète menée par David B. Coplan sur la musique et le théâtre dans les villes noires d’Afrique du Sud. Celle-ci fut éditée en version française en 1992 par les Editions Karthala, sous le titre « In 20th Century Masters : Millennium Collection | Best of Hugh MasakelaTownship Tonight ! ». Je ne m’intéresse néanmoins ici qu’à ses recoupements concernant les pratiques musicales à partir des années 1960 jusqu’à l’abolition de l’apartheid au début des années 1990. Mon but reste, comme toujours, de mettre en évidence les liens profonds qui ont uni, au cours de la 2nde moitié du 20ème siècle, l’expression musicale et la situation politique et sociale de l’Afrique du Sud sous le régime d’apartheid.

Entre recherches des origines profondes du peuple noir d’Afrique du Sud et revendications croissantes d’une liberté volée, c’est dans un univers mêlant rythmes traditionnels et influences occidentales, danse, énergie débordante et métissage culturel que je vous convie à présent, pour une traversée de près de 40 années d’une créativité musicale à jamais reconnue.

Nous commencerons notre observation lors du tournant majeur des années 1960, lorsque le déplacement des populations noires de Sophiatown au Township de Soweto fut décidé. Alors qu’il s’agissait pour le gouvernement nationaliste de « solutionner le problème indigène », cet évènement marqua le véritable lancement de la lutte en faveur de la reconnaissance d’une culture noire urbaine. Car si la Communauté noire, réunie au sein de paysages urbains frappés par la violence et laissés volontairement à l’abandon, avait déjà cherché par le passé à être reconnue comme membre à part entière de la société urbaine sud-africaine (et non plus campagnarde), cet évènement fut l’élément fondateur de l’unité noire.

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Derniers mots et invitation au voyage…

Une productrice de Thé Rooibos (thé rouge) en Afrique du SudL’histoire de l’Afrique du Sud, nous le comprenons désormais, est totalement imprégnée de la présence occidentale « blanche » depuis l’incursion des colons hollandais au 17ème siècle, puis celle des britanniques à la fin du 18ème. Cette situation a exercé une influence considérable sur l’organisation sociale de l’Etat sud-africain, dans le sens d’une domination coutumière et légale des Blancs sur toutes les autres ethnies en présence, qu’il s’agisse des Noirs, des Métis, des Indiens ou encore des Bantous. Cette disposition sociale héritée de l’histoire s’est traduite dans le rapport entre Arts, Culture et Politique, et ceci pour les diverses formes de création artistique dont nous avons parlées : arts visuels (sculpture, peinture et photographie), arts du spectacle (musique), et littérature. Le cinéma sera également un domaine que je vous proposerai d’aborder dans les oeuvres.

Cette exploration se veut une plongée dans l’expérience des artistes sud-africains, mais aussi une expérience de la solidarité exprimée par les arts : ou, quand des artistes, étrangers au contexte local, engagent dans leurs oeuvres des messages de soutien ou une dénonciation…

Fin d’un apprentissage utile, faute d’être absolument nécessaire pour se plonger dès à présent dans le coeur et l’âme de notre sujet : les nombreuses oeuvres de tous ces artistes sud-africains dont nous venons, en quelque sorte, de partager la route. Personnellement, nous arrivons au moment que je préfère. Celui, où, simplement imprégnés de mes quelques mots en guise de guide et de repères, vous vous lancez à la découverte d’artistes incroyables, touchants et combattifs…

Bon voyage temporel dans plus de 40 ans d’histoire ; que votre regard et votre jugement puissent en ressortir émus, touchés, et plus assoiffés encore !

Caroline