Charlotte Calmis

Charlotte Calmis est une artiste qui m’intéresse à plusieurs titres.

Charlotte Calmis |Peintre bien avant l’heure de l’élan féministe, mais aussi poète et écrivain, elle représente en effet un exemple complexe mais néanmoins révélateur de l’expérience des femmes artistes : une personnalité créatrice totalement chamboulée et remise en cause par la rencontre d’éléments extérieurs, sociaux, fondamentaux.

Pour bien comprendre en quoi Charlotte Calmis incarne la perturbation féministe des années 1970 sur la création artistique des femmes de l’époque, il me semble nécessaire de reprendre son parcours dans son évolution, et de l’observer, l’analyser, à l’image de l’important travail effectué par Marie-Jo Bonnet, historienne de l’art, écrivain et partenaire de Charlotte Calmis au sein du collectif«La Spirale», de 1974 à 1982. Celle-ci, effectivement, fait ressortir dans un article consacré à l’artiste les différents mouvements qui ont impulsé son oeuvre, montrant comment, de la peinture au collage, puis à la poésie, Charlotte Calmis a effectué une véritable « introspection libératrice » et repoussé les limites d’un art féminin qu’elle s’était imposée à elle-même.

Alors qu’elle peignait dans les années 1960 dans l’ombre de ses confrères masculins des toiles d’une grande qualité artistique (officieusement reconnue), Charlotte Calmis rencontra plus ou moins par hasard les tenantes du MLF au début des années 1970. La prise de conscience fut immédiate : « C’est le choc, l’ouverture et la prise de conscience que son identité de femme était occultée par la misogynie des milieux artistiques », se rappelle Marie-Jo Bonnet. Elle crée dès 1972 le collectif « La Spirale » (l’un des regroupements de femmes artistes les plus actifs de l’époque), «dans l’intention d’aider les femmes à renouer avec leur potentiel créateur». Le travail est amorcé ; et ce qu’elle accomplira dans le but de donner la parole aux autres lui servira tout autant à elle-même à entrer en contact avec sa propre expression « langagée ». C’est en effet au cours des huit dernières années de sa vie qu’elle produit la totalité de son oeuvre écrite fortement engagée (textes militants, « Journal d’une femme peintre », poèmes), tout en continuant ses travaux de collages.

En fait, Charlotte Calmis se réapproprie à la fin de sa vie une parole dont elle prend conscience de s’être privée tout au long de son existence, en tant que femme comme en tant qu’artiste. Des textes apparaissent dans un premier temps sur ses travaux plastiques, puis s’émancipent peu à peu de ce « relais » déculpabilisateur pour devenir de véritables poèmes. A l’image de toutes le femmes de son époque, et même en tant que mère spirituelle de toutes celles-ci (elle à 59 ans au début du mouvement féministe), elle gagne, revendique et assume un droit à la parole qu’une autocensure sociale malsaine lui avait insidieusement imposée.

Son travail est complexe ; c’est en quelque sorte son expérience philosophique et psychologique de la vie que son oeuvre nous offre, en forme de rappel d’une ère passée sous silence où les femmes ont souffert de leur isolement, de leur condition…

Ses travaux :

1) Travaux plastiques : deux exemples…
Blessures de la lumière | coudrage de 1970

Les premières incursions de la parole dans l’espace plastique de l’artiste. Les mots « blessure de la lumière » y sont écrits en rouge sur fond blanc tandis que des flammes découpées dans un tissu rouge et noir traversent la page à la verticale, et sont surlignées de traits rouges.
La femme dans la cité | Autoportrait

Dans ses collages, Charlotte Calmis montre « le déchirement de l’artiste femme confrontée à une société qui reste fermée au secret féminin« .

2) La rencontre avec la poésie : retour à soi-même, la femme artiste qui se retrouve…

« Dans l’homme seul je m’étais nommée
Je déchire mes mémoires
Mon silence se fait voyelles
Parole
Souffle
Brisent le sceau interdit
L’origine des nombres
Est le miroir de mes métamorphoses »
Extrait du poème XXIX dédié au kabbaliste et peintre Carlo Suarés.

« Ne suis-je dentellière de l’ombre
qu’araignée au tissage secret
peau tatouée (façon que j’ai de broder-main la connaissance)
sur ma chair de clair-obscur destin
Qu’est-ce qui
DORT NOIR AU COEUR DE MES DENTELLES
Pourquoi élucider si
à travers corps pénètrent pierres vos mots
là où d’autres mots stagnent
cette pâmoison de mots ma chair stigmatise
pourquoi élucider Méditation de chouettes aveugles
Que périssent les saisons rousses de nos passions
automnes fous
temps des mal-aimés
Crissements-cris à fleur de mots de pierre et
de stigmates
Pourquoi élucider
Je t’interroge jour de trop soleil
Quel secret dort noir au coeur de mes dentelles ? »

Extrait d’un recueil paru en 1977 au Cahier du Nouveau Commerce sous le titre de Gaïa (Gaïa incarne dans la mythologie un symbole de fécondité important).

3) L’oeuvre collective : peinture et écriture sur un corps de femme…

Gaïa | Oeuvre réalisée par les artistes du collectif La Spirale, 1975
En 1975, Charlotte Calmis invite les femmes de La Spirale à écrire sur le corps, une fois encore, de Gaïa, dans l’intention de créer une oeuvre collective.
« Sur une grande toile blanche, Charlotte Calmis a dessiné au fusain un corps de femme sur lequel chaque participante de la Spirale était invitée à inscrire une phrase de son invention » (Marie-Jo Bonnet). Une façon encore détournée de donner la parole aux femmes. L’obsession dans l’urgence d’une fin de vie…

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