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Adrienne Rich

Adrienne Rich | Années 1960Le nom d’Adrienne Rich ne vous est peut-être pas totalement étranger. Cette femme, née dans le Maryland au cours de la crise économique américaine de 1929 au sein d’une famille éclairée (son père fut un brillant médecin, professeur à l’Université John Hopkins , et sa mère, une pianiste et compositrice primée), devint en effet, dès le début des années 1950, une poète saluée et reconnue par ses pairs. Dès sa sortie de Radcliffe, elle remporte déjà le prestigieux Prix des jeunes poètes de Yale pour son premier ouvrage : « A Change of World. » (1951)

A cette époque, Adrienne Rich, femme droite et forte, ne donne pas la sensation de pouvoir se laisser absorber par un quotidien silencieux et besogneux, au même titre que la grande majorité des femmes de son âge dans les années 1950. Néanmoins, son mariage avec l’éminent économiste Alfred Conrad en 1953, son emménagement consécutif à Cambridge, puis son entrée dans le monde de la maternité suite à la naissance de ses 3 fils au cours des cinq années suivantes, lui font perdre ses repères de femmes artistes. Confrontée à la difficulté de tenir plusieurs rôles sociaux simultanément (mère, amante, artiste), ainsi qu’à une forte tension émotionnelle mêlant amour et colère à l’encontre de ses proches, elle reconnait elle-même avoir ressenti alors des sentiments « monstrueux », voire « coupables ». Une culpabilité qu’elle pressent néanmoins déjà plus « sociale » que personnelle, sans parvenir encore à en définir des contours plus précis.

Cette période de fort questionnement intérieur la conduit par la suite à écrire son troisième livre, « Snapshots of a Daughter-in-Law » (1963), dans lequel elle affiche librement ses sentiments à l’égard de thèmes fondateurs, tels que le langage, les frontières, la résistance, la fuite et les moments de la vie au cours desquels les choix individuels sont altérés.

« A life I didn’t choose/chose me » (« Une vie que je n’ai pas choisie, m’a choisie« ), y déclame-t-elle notamment dans le poème intitulé « The Roofwalker« . Dès lors, elle assumera de plus en plus sa vision intime du monde, selon laquelle « la sécurité des barrières et des illusions doit être abandonnée en faveur de la revendication d’une réalité, certes risquée, mais libératrice« . Le mode politique et revendicatif de sa poésie peut désormais éclore au grand jour.

Elle invoquera ensuite le sentiment de mort et d’abandon qui la submerge lorsque sa capacité à être au plus proche de son être lui est déniée ou amputée (« Necessities of Life« , 1966). C’est le début de l’assimilation de son combat personnel à celui de ses « semblables » : une lutte contre le conflit intime, l’aliénation sexuelle et l’oppression culturelle. Nous sommes au coeur des années 1960, lorsque des forces nombreuses commencent à se fédérer dans une ambition sociale et politique plus large (mouvement pour les droits civiques, mouvement anti-guerre, cause féministe).

Dès lors, émigrée à New York à la faveur d’un nouveau poste attribué à son époux, Adrienne Rich devient une actrice majeure de la dénonciation des discriminations faites à certains groupes sociaux. Les questions des codes culturels dans l’expression et de la relation que le langage entretient avec le pouvoir traversent ses oeuvres comme ses réflexions. Influencée notamment par les écrits de Simone de Beauvoir, elle s’engage dans le combat pour la libération sexuelle et contre un monde dominé par les hommes.

Avec « Leaflets » (1969), « The Will to Change » (1971), et « Diving into the Wreck » (1973), son style évolue, se modernise. Dans le poème « Tear Gas » (« gas » signifiant à la fois « bavarder » et « asphyxier »…), elle déclare : « La volonté de changer commence dans le corps et non dans l’esprit / Ma politique est dans mon corps. »

C’est finalement dans le but de s’exprimer au nom de ceux qui ne peuvent pas le faire qu’elle continuera à défendre par ses écrits la cause des plus démunis – gays et lesbiennes, juifs, noirs – et des femmes asservies.

Les poèmes qui suivront son engagement « physique » dans la cause féministe – « Twenty-One Love Poems » (1976), « A Wild Patience Has Taken Me This Far » (1981), « The Fact of a Doorframe: Poems Selected and New » (1984), « Your Native Land, Your Life » (1986), « Time’s Power » (1989), et plus récemment « An Atlas of The Difficult World » (1991) – confirmeront encore et toujours la politisation et la radicalisation de sa vision poétique.

Un dernier mot peut-être, pour finir sur le parcours d’une femme évidemment brillante et étonnamment courageuse (elle reçut un nombre impressionnant de prix et en refusa tout autant…) : depuis 1976, Adrienne Rich vit avec l’auteur et éditrice Michelle Cliff. De la portée libératrice de la Poésie sur les êtres…

[Cet article est largement inspiré par un très beau texte biographique de Deborah Pope]