Effets, apports et conséquences du rapport Art et Féminisme

« Montrer le travail des femmes, c’est à l’heure actuelle l’une des tâches urgentes, sans privilégier un média plutôt qu’un autre, une école plutôt qu’une autre« .

Cette parole de Françoise Eliet, fondatrice du Collectif Femmes/Art en 1977, pose un des enjeux majeurs des relations qui ont lié Art et Féminisme au cours des années 1970, à savoir la VISIBILITE des femmes dans le monde artistique.

Rappelez-vous : à cette période, les femmes artistes souffraient d’une énorme carence en termes de représentation dans les milieux artistiques aux côtés des hommes. Les chiffres produits par Fabienne Dumont dans sa thèse de doctorat intitulée Femmes et Art dans les années 1970 – « Douze ans d’art contemporain » version plasticiennes – Un face cachée de l’histoire de l’art –, soutenue en 2004, sont à cet égard particulièrement révélateurs.

Etudiant le cas des plasticiennes en France, celle-ci nous informe en effet que, malgré une proportion relativement élevée de filles parmi les élèves des écoles d’Arts sur la période (de 40 à 50% à l’école des Beaux-arts de Paris), on note une très faible présence de femmes artistes dans l’espace public, à savoir dans les galeries et les expositions (de 14% à 20% de plasticiennes dans les principaux salons des années 1970, 12% d’œuvres d’artistes femmes pour la période 1970-1982 dans les collections nationales et les expositions internationales), et dans les revues d’art (qu’elles soient généralistes ou plus avant-gardistes, les revues d’art n’accordaient en effet en moyenne dans leurs pages que 5% aux travaux des plasticiennes).

Aujourd’hui encore, et malgré une nette domination du nombre de filles dans les écoles d’Art comparé à celui des garçons (les filles représentant désormais plus de 50% des élèves), les chiffres frôlent le scandaleux : moins de 30% de plasticiennes étaient exposées à Féminimasculin, le sexe de l’art, en 1995, moins de 9% pour Les années 1970, l’art en cause, en 2002, et aucune thématique féministe n’a été abordée dans l’exposition Face à l’histoire de 1995… Des chiffres extrêmement étonnant dans un contexte récent où le sentiment général tend à soutenir l’idée selon laquelle la reconnaissance des femmes artistes serait désormais la même que celle des hommes.

Faut-il néanmoins en conclure que l’impact du féminisme sur le domaine de l’art et de la production féminine est réduit à néant ? Certes non.

Bien que les apports ne paraissent pas très convaincants en termes de place accordée aux femmes dans les évènements artistiques, cette observation reste à nuancer, au regard notamment d’une acception plus large du terme de « visibilité ».

Prenez soin de vue, 2007 | Sophie Calle aux Editions Actes Sud Soulignons tout d’abord les effets du Mouvement de Libération des Femmes (MLF) sur les rapports entre les femmes artistes et l’art : en les poussant notamment à s’organiser pour exister sur une scène artistique et culturelle machiste peu adaptée à la réalité des femmes (cf. les groupements de femmes artistes des années 1970), le mouvement féministe leur a permis de libérer leur parole et de les amener vers une plus grande liberté de création.D’autre part, il apparaît aujourd’hui, au regard de la jeune génération présente sur le devant de la scène artistique, que les femmes ont la possibilité de réussir aussi bien que les hommes leur carrière d’artiste. Nous pensons notamment à Marlène Dumas mais surtout à Sophie Calle, dont la reconnaissance ne fait aujourd’hui qu’augmenter au fur et à mesure de ses nouvelles créations.

Enfin, et c’est un pas en avant fondamental au regard d’une histoire de l’art fortement dominé par les points de vue et les productions de la gente masculine, les femmes sont en train de gagner peu à peu une réhabilitation justifiée au sein de la théorie de l’art.

Depuis une trentaine d’années en effet, des études ont été compilées (bien davantage aux Etats-Unis et en Grande Bretagne qu’en France, et cela est bien dommage…), permettant de mieux comprendre les différentes facettes du mouvement des femmes dans l’art, et leur inscription dans l’histoire de l’art en tant que pionnières et innovatrices à part entière.

Pour résumé les acquis du féminisme dans le domaine de l’art, je vous propose la liste suivante, en m’excusant par avance si celle-ci reste non-exhaustive (toutes les suggestions à venir prouvant que ces apports sont multiples et divers…) :

  • une reconnaissance institutionnelle, sociale et économique ;
  • la production d’une critique du sexisme du monde de l’art ;
  • la production d’une critique du sexisme des savoirs sur l’art, qui a permis une réflexion sur la dimension de pouvoir dans les rapports entre homme, femme et art, et à terme, sur la définition même de l’art ;
  • des changements radicaux dans la production et la réception de l’art contemporain.

Mais avant tout, c’est leur liberté de création que les femmes ont remporté dans cette démarche.

Le féminisme des années 1970, tout comme le féminisme en art, a eu pour principal objectif de rendre aux femmes la possession de leur corps, et de leur donner une existence nouvelle, en dehors du regard dominateur et avilissant des hommes.

Comme l’exprime Nadine Plateau, présidente d’un réseau de coordination des études féministes en Belgique, « Aujourd’hui, la prétention à l’universalité ne contraint plus les artistes à sacrifier la part d’elles-mêmes ou de leur histoire qui aurait entraîné leur relégation dans le genre dévalorisé d’art féminin. Là réside la grande libération« .

En définitive, les femmes ont acquis alors le droit à l’existence dans un monde social et culturel jusqu’alors dominé par les hommes.
Une existence… de femme.

Derniers mots et invitation au voyage…

Il est temps à présent de clore notre discours pour en revenir aux œuvres, production même de ces femmes combattantes et de toute cette Histoire qui nous construit chaque jour.

Les femmes, qu’elles soient mères de famille, citoyennes ou encore artistes, semblent avoir clamé la revendication d’une nouvelle universalité plus juste, détachée du référent masculin.

Or, une remarque trouve sa place ici, avant de tourner la dernière page de ce premier lancé d’ h’Artpon.

Sans paroles (Speechless), 1996 | Photographie par Shirin Neshat

Cette nouvelle intégrité dont nous parlons, cette recherche intemporelle des femmes d’une reconnaissance et d’une autonomie liées à leur qualité d’être humain, cette universalité, comme nous la désignions, doit-elle se résumer uniquement à celle défendue par « les femmes blanches, privilégiées et hétérosexuelles, sous prétexte que sont elles qui prennent la parole » ? (Véronique Danneel).

Sans cesse, les femmes s’obstinent à questionner les rapports de pouvoirs, et ce n’est que dans ces conditions que leur cause continuera à s’étendre à de nouvelles contrées et à de nouvelles sphères.

Cependant, réfléchissons par deux fois avant de décider pour toutes les femmes l’universalité dont elles ont besoin pour exister, dans un monde parcouru par des sociétés diverses et plurielles…

Notre voyage s’achève ici. Je vous propose de descendre du train, et d’emprunter une nouvelle correspondance.

Bienvenue à présent dans h’Artpon, à la découverte des femmes et des oeuvres qui ont justifié cet étonnant voyage : entr’ Art et Histoire…