Gina Pane

Ne croyez pas les images les plus fréquemment véhiculées sur elle, Gina Pane est une artiste à la croisée de divers chemins, porteuses de messages forts et multidimensionnels. La limiter à une excentrique masochiste (bien que cela est tentant au regard de certaines de ses oeuvres) est une erreur trop souvent relayée… Tâchons d’éviter cet écueil.

Bien que s’inscrivant dans cette heure phare de l’histoire de l’art où les identités culturelles occupent la première revendication des messages évoqués (1968/90), cette artiste aux origines plurielles – elle est née à Biarritz (France), d’un père italien et d’une mère autrichienne – n’aura néanmoins de cesse de revendiquer le caractère universel et essentiel de ses réflexions.

Assimilée très tôt à la mouvance du body art ou art corporel (comprenez un ensemble de réalisations / actions / performances mettant en scène le corps même de l’artiste), cette femme, actrice-interprète de sa propre production, s’attaquera avant tout à faire apparaitre le paradoxe complexe reliant d’un côté douceur et fragilité (de la femme, de la vie), et de l’autre, inévitable, la blessure et la violence faite au corps.

Pour Gina Pane, en effet, le corps est « le coeur irréductible de l’être humain, sa partie la plus fragile. Il en a toujours été ainsi, sous tous les régimes et à tous les moments de l’Histoire. Et la blessure est la mémoire du corps : elle représente sa fragilité, sa douleur, donc sa véritable existence« .

Ainsi, son oeuvre est une succession de petites violences et de blessures plus ou moins légères qu’elle s’infligent à elle-même, avec la volonté d’être l’initiatrice de questionnements philosophiques et éthiques sur la thématique de l’existence. Cette démarche, pour tracer le lien avec le féminisme, n’est possible que dans les prémisses d’une émancipation des corps, notamment féminins, et s’inscrit dans ce courant comme une démarche sensée, qui nécessite une liberté de parole et d’exhibition nouvelle des femmes, et notamment des artistes en ce début des années 1970.

La particularité de ces actions/performances est double :

  • elles se déroulent le plus fréquemment en présence de spectateurs ;
  • elles sont minutieusement et préalablement préparées, schématisées, conceptualisées et chorégraphiées par l’artiste sur des carnets de notes et de croquis.

Plutôt que de rentrer à présent dans une description longue et peu évocatrice des performances de Gina Pane, je vous propose de profiter de l’important travail d’archivage et de réinterprétation que celle-ci a elle-même effectué sur ses actions, par le biais de la photographie, et de l’assemblage de ces photographies au sein de véritables oeuvres autonomes:

nourriture, feu, actualités T.V. | Gina Pane, 1973

 

Gina Pane étouffe un feu de ses pieds nus, et ingurgite de la viande crue pendant plus d’une heure…

A coups de rasoirs, de lames plantées dans sa chair, elle évoque le pouvoir du corps blessé dans le dépassement des interdits sociaux.

Avec « Action sentimentale » (ci-contre), elle ose une référence catholique, celle du martyre par l’automutilation. Toute vêtue de blanc et portant dans ses mains un bouquet de roses rouges, Gina Pane retire peu à peu des fleurs les épines pour se les introduire dans le bras.

Puis, les retirant ensuite de son propre corps, elle laisse un léger filet de sang s’écouler le long de son poignet… Là, le bouquet de roses rouges est remplacé par un bouquet de roses blanches… Son dernier geste est alors de s’inciser la paume avec un rasoir.

Enfin, peut-être pis encore à la lumière de nos représentations, l’action qui consiste pour Gina Pane à s’inciser, se taillader littéralement le ventre en 1974…

Les images sont agressives mais l’objectif est libérateur : affronter la douleur pour ressentir l’existence véritable.

Rituels étranges, forts et emplis de violences… Une violence revendiquée et que l’artiste s’inflige pour marquer sa peau de traces indélébiles.

Les traces de son existence indéfectible. Celle de femme, d’homme, d’être humain… La seule vraie raison d’être.

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